PATRICE VERMEILLE

16. III 17. V. 2013

PLAYTIME

« À nouveau les étoiles rivalisent vainement avec la lumière précise des lampes à arc »

(carl einstein, Bebuquin).

Peintures, estampes, stéréogrammes, le titre choisi pour l’exposition de Patrice Vermeille à l’URDLA présente tout à trac le programme, nous entraînant aux premières années de la modernité. À l’apparition de la photographie au milieu du XIXe siècle dans l’Europe enflammée par les révolutions industrielles, les progrès techniques et mécaniques, s’agglomère l’invention d’un grand nombre de procédés utilisant les découvertes les plus récentes de l’optique et de la photosensibilité.

Ceux nommés alors inventeurs s’attachèrent à créer une image de la réalité qui surmonterait sa planéité fondamentale. Le stéréogramme survécut à cette vague d’inventivité – on pouvait facilement acquérir un appareil stéréo il y a quelques décennies encore. Les images d’une réalité figée mais dévoilant un volume autrement que par les conventions de la perspective ont nourri les représentations imaginaires de générations d’enfants émerveillés par ce théâtre du temps suspendu.

La recherche de l’émotion née de l’étrangeté du face-à-face avec un monde à l’arrêt occupe Patrice Vermeille : l’enchantement et la surprise du théâtre des illusions motivent les fondements d’une œuvre singulière. Ce ne sont pourtant pas les images du monde quotidien que Patrice Vermeille nous propose mais la réalité de ses fantaisies et de son désir.

À l’URDLA il n’était pas question d’englober une œuvre commencée dans les années soixante, mais plutôt de repérer les points de passage structurels à l’œuvre de Vermeille, de la gravure – parangon de l’imprimerie – au dessin vectoriel. Ce qu’il convient de saisir, c’est que ce théâtre d’illusions refuse une figuration simple de la réalité ; tout y est synthèse.

Les deux tableaux qui ouvrent l’exposition nous placent « Entre deux eaux », entre la réalité (sa représentation conventionnelle) et les fantaisies du désir. La trentaine de pièces étage des face-à-face. Celui de la représentation classique à l’illusion moderne. Ils ne se limitent toutefois pas à la métaphore guerrière. La naissance du jour et le crépuscule sont deux moments distincts, pourtant l’étoile du matin et l’étoile du soir ne sont qu’une seule Vénus. Le clair-obscur est-il face à face ou bien dissolution ?

Comment transcrire la nuée de l’aérographe utilisé en peinture et pour les aquatintes dans la taille rangée qui ne procède que de lignes parallèles et de croisements ? Patrice Vermeille place l’autoportrait gravé de Van Dyck au sommet du maniement de cet impossible. Il en propose une résolution, notamment dans les grandes figures hiératiques et sculpturales des Stèles.

Dans chaque série, l’artiste se confronte à un problème formel et technique auquel il apporte sa solution plastique et esthétique. Ainsi le visage humain occupe une large part de l’exposition. Ce n’est pourtant que dans une série réalisée entre 2010 et 2012 que la représentation de la figure humaine arrive au-devant de l’œuvre (en 2007 des Anti-Portraits annonçaient les prémices de cette préoccupation).

Ces figures de captifs, emprisonnées derrière le réseau qui structure un plan, désignent dans la langue de l’image que ces « Anthropométries » ne sont pas des portraits. L’identité est y en dissolution. La ligne qui préside à toutes les productions n’est pas là un moyen de reconnaissance, elle est synthèse, marche vers l’abstraction. Les répliques des grands tableaux sculptées par les réseaux lenticulaires manifestent la dissolution d’une figure identifiable à une forme d’humanité archaïque.

Face-à-face des œuvres entre elles, de l’une à l’autre technique, du regardeur et du regardé, certes, mais ce sont les moments de résolution que Patrice Vermeille saisit. Dans l’espace d’un même tableau, les représentations de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, des particules non humaines et pourtant constituantes de l’homme se font face et se dissolvent dans un étoilement d’éclats.

Modernité et futurisme viennent d’autant plus rapidement sous la plume des commentateurs que Patrice Vermeille raconte sa sidération infantile devant les paysages de campagnes déformés par l’action des machines de guerre et recouverts d’objets laissés là par les combats. S’il s’agit de modernité et de futurisme alors ce sont ceux que Jacques Tati met en scène dans Playtime. Un monde où la machine glorieuse n’anéantit pas les rêves ni la fantaisie : les puissances de l’imagination et l’illusion poétique guident le bras et la main du portier du Royal Garden qui manipule dans le vide l’énorme bouton d’une porte illusoire dont pourtant aucun client ne songe à mettre en doute l’existence. Prouesse de la substitution : les cubes de verre de la porte brisée serviront de glaçons au barman. Ce sont à ces jeux de déplacements et de métaphore, à la construction d’un monde d’images auxquels le visiteur participera.

Cyrille Noirjean

Le Rebond du photon : transferts & métamorphoses

Aussi loin que remonte mon souvenir, j’ai toujours confronté le geste et ses taches d’une part, et la géométrie d’autre part. Plus grand est l’écart entre les deux, plus grand est mon espace de liberté.

C’est à plus de trente ans que Patrice Vermeille, né à Nancy en 1937, devient peintre, après des études de graphisme publicitaire. Peintures, dessins et gravures composent une œuvre rythmée par une pratique de l’estampe qui, loin d’être occasionnelle ou anecdotique, constitue un corpus remarquable. URDLA a édité depuis 1987 vingt de ses multiples : lithographies, eaux-fortes, pointes sèches, xylogravures, ainsi que le livre de peintre en leporello Le poème mis à nu par son poète, même... dont le texte de José Pierre est accompagné de lithographies.

Quatre nouvelles gravures de Patrice Vermeille entrent au catalogue URDLA ce printemps. Trois d’entre elles, nommées Le Rebond du photon, ont pour singularité de venir compléter un ensemble de peintures portant le même titre. Un même motif est décliné en trois temps : d’abord l’élément graphique, puis l’énergie qui vient de la couleur, incompatible avec la prééminence du geste calligraphique. Ainsi vise-t-il une tentative d’homogénéisation de la matière et de la couleur par la gravure. « Une œuvre qui aurait été chimiquement décomposée » devient triptyque.

J’ai gardé cet émerveillement du transfert.

Ainsi, exceptionnellement dans sa pratique, la gravure ici dérive de la peinture, telle une estampe d’interprétation, qui serait « non pas une reproduction mais une conséquence. Habituellement, le modèle de ce qui serait mes estampes d’interprétation est inexistant, il est absorbé par l’estampe. Dans Le Rebond du photon, plutôt par jeu, j’ai voulu contredire l’impossibilité que tout advienne sur une surface unique, en déployant des triptyques. »

La symétrie stricte n’a d’intérêt que décoratif.

Lorsque l’on questionne Patrice Vermeille au sujet du portrait, il répond « antiportrait. » Dans ce qui pourrait paraître d’impossibles faces-à-faces ou rencontres, se travaillent plutôt les principes du reflet et du miroir. Patrice Vermeille évoque alors ce thème à l’œuvre dans la musique d’Olivier Messiaen ou encore dans le cinéma de Jean Cocteau et sa fascination pour « la fausse symétrie », l’idée d’un reflet qui serait toujours déformé.

L’énergie est contagieuse entre l’humain, le vivant et le non-vivant.

Patrice Vermeille est sensible aux géométries qui échappent à l’échelle humaine, à l’appréhension de leur complexité. Le photon, particule parmi d’autres, expressions de l’existence de l’univers, en amont et en aval de la temporalité humaine. La mixité définit son obsession de travail, confronter l’humain et le non-humain, l’infiniment petit et l’infiniment grand, tentative de synthèse dans un mouvement d’hybridation.

Modifier comme de la terre glaise une image à la géométrie très complexe.

À la fin des années 80 puis durant les années 90, Patrice Vermeille assiste avec enthousiasme à la naissance des logiciels de dessin vectoriel et à l’usage qui y est fait et rendu possible de la courbe de Bézier. « En matière de dessin, cet objet vectoriel est l’apport le plus original de l’informatique. Il est constitué de points d’ancrage reliés par une ligne. Cette ligne est définie par la valeur des tangentes appliquées aux points d’ancrage. L’objet vectoriel est éditable, cela signifie qu’il conserve son indépendance, comme un pion sur un échiquier. Sa position, sa disposition (devant, derrière), ses attributs visuels (fond, contour, couleur, texture) peuvent être remaniés, isolément ou collectivement ». Cette courbe a été développée notamment pour concevoir des pièces de carrosserie automobile. Nombreuses sont ses applications dans la synthèse d’images et le dessin des polices de caractères. Patrice Vermeille s’en empare, en fera un outil parmi d’autres, mais fréquemment utilisé. Ainsi, bien souvent, entre le geste manuel inaugural du croquis et celui du peintre ou du graveur, s’intercale une étape informatique, équivalente au travail dans un carnet d’esquisses. Il rapproche le processus de l’estampe de celui de cet objet mathématique et géométrique, les deux lui permettant, avec fascination, transfert, empreinte et métamorphose, dans une analogie avec l’objet initial, comme une possibilité infinie de moduler le motif à l’aide de différents prismes.

Patrice Vermeille avoue aimer les reproductions imprimées, ce qu’il juge être un vice. Et lorsque l’on évoque une lecture à la fois primitive et futuriste de son œuvre, il sourit : « je me fabrique mes propres ancêtres, non euclidiens, et je suis bien avec eux. »

https://urdla.com/artiste/309-vermeille